Romance de Noël
Aujourd’hui c’est le 24 décembre. N’ayant ni enfant, ni petit-ami, il est vrai que je suis encore jeune, je le passe chez mes parents qui vivent dans un petit village toulousain. J’ai 22 ans et le bilan de ma courte vie n’est pas brillant. Je suis en M2 architecture, ça c’est pas mal certes, mais je n’ai encore rencontré aucun mec sérieux qui a pu faire vibrer mon coeur.
- Joëlle, ma chérie, tu peux aller ouvrir ? C’est sans doute le facteur.
Je trouve ma mère gonflée de m’appeler alors qu’elle est dans la cuisine juste à côté de la porte d’entrée.
J’y vais en marchant lentement, légèrement agacée. En ouvrant la porte, je hurle sur le pauvre homme :
- C’est pourquoi ?
Je pose ainsi mon regard sur lui et ses yeux verts me transpercent littéralement. Je suis fascinée.
- Bonjour, je fais ce pourquoi je suis payé. Distribuer le courrier.
Je reste sans voix. Il est en colère, c’est certain.
- Pas étonnant que certains facteurs préfèrent laisser des récépissés dans les boîtes. Je commence à comprendre leur appétence pas si naturelle finalement à le faire.
Je me sens bête tout d’un coup.
- Excusez-moi. Je n’aurais pas dû vous parler de la sorte.
- Voilà une lettre recommandée. Il me faudrait une signature, s’il vous plaît.
Je tente un sourire pour détendre l’atmosphère. Il ne me le rend pas. Lorsque j’ai signé, il se contente de me saluer poliment et s’en va.
- C’était Monsieur Lopez ?
Ma maman me surprend. Je sursaute.
- Non, c’était un jeune homme.
- Nous avons reçu un recommandé ?
- Oui, maman.
- Ça ne va pas ?
- Si, mens-je.
Je suis quelque peu déboussolée par la froideur dont le facteur a fait preuve. Il était tout de même poli. Enfin, n’était-ce pas mérité ? Oh que si ! D’habitude, c’est Monsieur Lopez qui nous distribue le courrier. Il n’aurait pas mérité que je lui parle de cette manière non plus. Notre facteur est très gentil. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je m’en veux.
Concernant le jeune homme, je me suis excusée. Il n’y a rien à ajouter.
Noël avec mes parents se passent à merveille. Toute la semaine, je vois le jeune facteur glisser le courrier dans la boîte sans qu’il ne sonne. Tant mieux. Mon attitude a gâché toute discussion cordiale possible entre nous. Monsieur Lopez a-t-il pris des vacances ? Ou sa retraite ? Je ne sais pas quel âge il peut avoir... Le jeune est-il le nouveau facteur de mes parents ? Nous sommes partis sur un mauvais pied dans ce cas !
Quelle plaie ! Pour une fois qu’un mec n’était pas trop mal. Tant pis pour toi. De toute façon, Paris/Toulouse, ça aurait fait loin. Une telle relation, n´est pas envisageable. De toute façon, j’attends de rencontrer le futur médecin...
Le 31 arrive trop vite à mon goût. Je me prépare pour rejoindre mes potes que je n’ai pas vus depuis des mois. Nous avons décidé de fêter le nouvel an ensemble. Julie a créé un groupe whatsapp pour préparer notre soirée au mieux. Nous serons une petite dizaine. Je connais tout le monde sauf un de ses amis qui est en médecine avec elle. Elle est certaine qu’il me plaira. Mais elle a refusé de me montrer la moindre photo de lui. Je sais juste qu’ils se connaissent depuis la première année, mais qu’ils viennent juste d’apprendre qu’ils étaient tous deux d’ici. Ils sont devenus potes récemment. Elle veut absolument nous le présenter. Il est un des meilleurs, si ce n’est le meilleur de la promo, d’après les dires de Julie. Ce qui est loin d’être mon cas. Pour autant, j’arrive à réussir chaque année, c’est tout ce qui m’importe...
En tout cas, en ce qui concerne Guillaume, le futur médecin, il a l’air sympa du peu que j’ai lu. Il n’a pas de photo de lui en avatar whatsapp. Enfin, je flaire le coup foireux... Si ça se trouve, le mec est moche avec des boutons ou gros avec des lunettes. En soi, s’il est costaud,
ce n’est pas hyper grave. Moche à mon goût par contre...
Après ma douche, je passe un jean bleu et un chemisier blanc. Mon gilet bleu et blanc se marie bien avec l’ensemble.
Je prends mon manteau et me voilà partie. Deux kilomètres plus tard, je me gare chez les parents de ma meilleure amie. Elle étudie à Amiens.
Moi à Paris. Nous pourrions nous voir plus souvent, mais financièrement ce n’est pas toujours évident.
J’arrive en premier. Je l’aide à tout installer. Ses parents sont partis en croisière et nous ont laissé la maison. C’est trop top. Les invités arrivent peu à peu. Ça sonne.
- Joelle, peux-tu aller ouvrir, s’il te plaît ?
- Ok.
J’ouvre et surprise. Mon jeune facteur apparaît devant moi. Je suis abasourdie. Je comprends rapidement qu’il d’agit du fameux étudiant en médecine. L’atmosphère s’est glacée quand il m’a vue. Je suis dans la MERDE.
- Vous distribuez même des recommandés le soir, tentais-je.
- Ah ah ! Elle a de l’humour, la hargneuse !
Bon ok, il n’a pas été emballé par ma blague.
- Vas-y entre, Guillaume, j’imagine.
- C’est cela.
Un sourire forcé, il me pousse gentiment pour entrer. Inutile d’être Einstein pour comprendre qu’il n’a pas envie de s’éterniser avec moi.
Il salut tout le monde et s’installe. Julie, ma meilleure amie, lui fait la bise.
- Voici ma copine Jo.
Il semble déçu. El’e a dû lui parler de moi...
- Je l’ai déjà rencontrée.
Son ton est toujours aussi froid.
- Ah bon ?
Tous nos amis se retournent. Ils n’ont pas loupé la tension dans sa voix. Je me dois de me justifier la première. Peut-être comprendra-t-il enfin ?
- Oui. Il est facteur à ses heures perdues. Un jour, il a sonné chez moi et je n’ai pas été agréable. J’ai beau m’être excusée, ton cher ami semble rancunier.
- À mes heures perdues ? Tu t’entends parler ? Tu étais aussi détestable que tu ne l’es ce soir.
- Là, c’est toi qui l’est, répons-je instantanément.
Tout le monde nous regarde. Ils semblent amusés. En tout cas, je ne me laisserai pas insulter. Il est évident que ce n’est pas cette nuit, que je trouverai un mec. Une voile sombre intérieur m’attriste.
Même Julie nous scrutent d’une drôle de manière.
La soirée commence. Guillaume et moi restons chacun dans son coin. Il est agréable avec tous les autres et se fait même draguer ouvertement par Samia, une de nos potes. Elle a toujours les mecs qu’elle convoite. Sa peau mate, ses lèvres pulpeuses et ses gros seins y jouent pour quelque chose. Son maquillage trop prononcé doit plaire aussi... Je suis à l’opposée. Plutôt fade... Je soupire. Lui ne repartira probablement pas seul. Guillaume pose enfin ses yeux sur moi. Une micro seconde avant de les détourner à nouveau. Je m’assoie à une table et boude. Quelle super soirée !
- Viens avec moi, me chuchote Julie.
Elle m’entraîne dans sa chambre.
- Je crois que tu lui plais malgré le fait qu’il t’en veuille encore.
- Pourquoi m’en veut-il encore ?
- J’ai rapidement discuté avec lui avant que Samia ne jette son dévolu sur lui. Tu dois savoir que ça aurait pu être son père à la porte.
- Et pourquoi donc ?
- Son père, c’est ton facteur idiote !
Je souris à ce petit nom bien choisi me concernant. C’était logique et je ne suis vraiment qu’une idiote !
- Monsieur Lopez ?
- Oui. En fait, son père est fatigué, mais il n’avait plus de vacances. Alors, Guillaume a proposé de le replacer pendant ses 15 jours de vacances afin qu’il puisse se reposer. Il lui donnera tout son salaire, bien évidemment.
Ce mec est un altruiste ! C’est un saint !
- Tu es sérieuse ?
Elle acquiesce.
- C’est vraiment formidable de faire une telle chose pour son père.
- C’est un gars extra. Il a eu l’impression que tu le méprisais, je pense.
- Cela n’avait rien à voir.
- Il n’en démord pas.
- Je vais essayer de lui expliquer.
Julie me sourit avec tendresse.
- N’abandonne pas ! C’est avec toi qu’il doit repartir, pas avec Samia !
Je redescends et me plante devant lui. Samia pose un regard tueur sur moi. Je détourne la tête avec assurance et demande à Guillaume de me suivre. Bizarrement, il ne se fait pas prier. Nous voilà dans la chambre de ma meilleure amie.
Il attend debout devant le lit.
- Nous avons vraiment quelque chose à nous dire ? me demande-t-il.
Son regard a pris une nouvelle teinte.
- Toujours aussi agréable avec moi !
Il se tait et attend que je commence. Je réfléchis à toute vitesse.
- Je voulais simplement clarifier la situation entre nous.
Je ne m’aurais jamais cru capable de cela. Je prends mon courage à deux mains et j’y vais.
- Cela n’avait rien à voir avec le fait que tu sois facteur. Ma mère m’a demandé d’aller ouvrir et j’avoue que sur le coup, ça m’a saoulée alors j’ai été condescendante, mais cela aurait pu être n’importe qui. Ça m’aurait embêtée que ça tombe sur le facteur de mes parents que je connais depuis ma naissance. Je m’en excuse encore une fois. Tu faisais ton travail et j’aurais dû réagir autrement.
- Pourquoi avais-tu besoin de te justifier ? Ça t’apporte quoi ?
Je rougis. Autant jouer carte sur table.
- Parce que quand j’ai posé les yeux sur toi la première fois, tu m’as plu.
Une lueur apparait dans ses yeux. Apparemment, je ne lui suis pas totalement indifférente.
- Ok, j’accepte tes excuses. On peut redescendre ?
- C’est tout ?
- Oui, qu’espérais-tu ? Que je te saute dans les bras ?
- Euhhh non, je laisse la place à Samia, finis-je défaitiste.
Il ne répond pas. Je suis déçue. Il va la retrouver et me narguer pour se venger ?
Il est jovial, discute avec tout le monde et Samia qui ne le quitte pas d’une semelle. Je suis carrément dégoutée.
Tout le monde a ramené un quelque chose que nous dégustons, tous ensemble. On dîne à la bonne franquette, je finis par réussir à me rapprocher de lui. Julie a occupé Samia pour que je puisse m’installer prés de Guillaume qui n’a d’autre choix que de me parler. On en apprend un peu l’un sur l’autre. Je suis assise à côté lui.
- Dernière année d’architecture ?
- Oui en juillet, je serai diplômée.
- Moi je n’en suis qu’à ma 5ème année.
- Tu comptes te spécialiser ?
- En effet. Je souhaite me spécialiser en gynécologie.
- Vraiment ? Ça t’est venu comme ça ?
Attention à sa susceptibilité.
- Je veux dire comment un homme en vient à choisir la gynécologie. Je suis intriguée.
Il ne s’en formalise pas. Ouf
- J’aime les femmes, alors autant m’occuper de leur corps.
- Corps, corps... me moqué-je.
Il explose de rire. Il est trop beau.
- si tu veux tout savoir, je pourrai faire naitre mon enfant en obstétrique. À défaut de porter mon bébé, je le mettrai au monde. Et donner la vie à des petits êtres humains, ça me botte vraiment.
Sa phrase est belle et touchante.
- Ce n’est pas faux...
Samia me foudroie du regard. Elle m’en veut il n’y a aucun doute. Il est en bord de canapé et moi à côté. Il a les bras sur le dossier, elle n’a aucune chance...
À minuit, on se souhaite tous une excellente année. On se retrouve éloigné, Samia en profite pour un rapprochement. Je crois que je vais lâcher l’affaire. Je m’éloigne et sors prendre un peu l’air. Même pas une minute plus tard, il me rejoint dehors. Je suis stupéfaite. Je ne bouge pas, la bouche ouverte comme un carpe. La neige commence à tomber à ce moment-là. Fort heureusement, j’ai mis mon manteau et mon bonnet. Guillaume a fait de même. Il s’approche de moi et m’embrasse sur la bouche. Un baiser tendre et simple. Mon ventre explose de joie. Malgré le froid, une chaleur vient m’irradier le corps tout entier. Guillaume me repousse et me sourit.
- Bonne année Joëlle !
- Bonne année Guillaume. Dois-je en déduire que...
- Samia ne me plaît pas ?
- Cela ne me regarde pas !
- Menteuse. Nous sommes sous le Gui.
- Ah... Oui, c’est à ça que je faisais référence.
- Je me disais aussi, se moque-t-il.
Je baisse la tête. Il me la relève pour que je le regarde dans les yeux.
- Je plaisantais. Même sans le gui, je t’aurais embrassé ! On connait nos numéros respectifs, on verra bien où ça nous mènera.
- Ça me va. Donc pour Samia...
- Je croyais que ça ne te regardait pas ?
- Arrête de te moquer de moi, s’il te plaît !
Il m’embrasse une nouvelle fois avant de reprendre la parole.
- D’accord. Tu es la seule de la soirée qui me fait de l’effet... C’est bon ?
J’acquiesce de la tête. Il m’embrasse à nouveau plus longuement. C’est si bon ! J’ai des papillons dans le ventre comme dans les livres. Je frissonne. Il croit que cela est dû au froid.
- Rentrons avant que tu ne tombes malade.
Mon sang boue. Il n’y a aucun chance que cela n’arrive. Je garde cette réflexion pour moi.
Nous rentrons à la fête, main dans la main. Tout le monde applaudit sauf Samia qui je le pense n’est plus une amie. Nous ne nous quittons plus au grand DAM de Samia. Je passe même ma nuit et toutes les autres de nos vacances avec mon facteur favori. Nous rencontrons nos parents respectifs. Monsieur et Madame Lopez sont de très charmantes personnes. Pas étonnant que leur fils soit aussi serviable. Il cherche toujours à aider son prochain. Il a bien choisi sa voie. Nous n’avons plus reparlé de notre rencontre houleuse.
Le 5 janvier, il me ramène chez moi en voiture et reprend la route pour Amiens. J’ai l’assurance que nous continuerons à nous fréquenter. Que notre relation dure ou pas, c’est ma plus belle histoire d’amour et elle s’est nouée pendant mes vacances de Noël.