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Romans de Lise Marcy
30 septembre 2018

Nouvelle : Pourquoi nous ?

 

 

 

 

 

 

 

Début 2018

Nous sortons des urgences et après une batterie d’examens, les résultats viennent de tomber et je n’arrive toujours pas à y croire. Je comprends mieux pourquoi je suis si fatiguée depuis des semaines. Quand on a une vie presque parfaite, il faut toujours qu’un grain de sable s’insinue et complique tout.  Mon homme est à côté de moi. Nous sommes rentrés chez nous en silence. Nous sommes assis sur notre canapé. Nous nous faisons face. Nous nous dévisageons. Aucun de nous n’ose parler. Il m’observe avec beaucoup d’attention. Je réalise qu’il ne sait pas quoi dire. Qu’y a-t-il à dire de toute façon ? Je touche mes cheveux. Certaines personnes les perdent. En ferais-je partie ? Cette idée m’effraie au plus haut point.

Nous sommes autant abasourdis l’un que l’autre. Jamais nous n’avions imaginé ou envisagé cette situation. Je me sens trop jeune pour l’affronter. Pourquoi nous ? Hein ? Mon cœur bat la chamade. Je soupçonne le sien d’être, lui aussi, dans le même état. Il se pose sans doute autant de questions que moi. Les choses sont pourtant très claires et simples. Il n’y a rien à faire d’autre pour le moment que de patienter et de voir comment les choses vont évoluer. J’ai une grande appréhension. Il ouvre la bouche. J’ai presque peur de ce qu’il va me dire. Je retiens ma respiration tandis que lui prend son courage à deux mains et s’exprime.

— Qu’allons-nous devenir ?

Que répondre à cette question ? Je ne le sais pas moi-même. Je n’en ai pas la moindre idée.

Avant d’y penser laissez-moi vous parler de nous.

Septembre 2007

Le jour de ma rentrée, un mec sort d’une voiture teintée. On aurait dit une célébrité. Il était canon et il le savait. Un nouveau ! Il a balayé les alentours du regard. J’ai senti ses yeux telle une caresse sur ma poitrine. Il était gonflé ! Puis il a enfin levé la tête et m’a souri comme si de rien n’était. Ensuite il a détourné le regard et est entré dans l’enceinte du lycée.

Ce mec ne me plaisait pas du tout même si je devais avouer qu’il était canonissime selon mes critères de beauté. Ce genre de playboy, ce n’était vraiment pas pour moi ! J’imaginais bien comme il devait être bête ! Tout en apparence et dans les muscles et rien dans la tête. Véronique ma meilleure et moi pouffons de rire. Nous savons ce que l’autre pense sans avoir à parler.

Véronique est géniale et on s’adore toutes les deux depuis notre rencontre chez la nourrice à deux ans. Nous avons donc toujours été dans la même classe. Elle une petite rousse rondouillette aux cheveux longs et moi une brunette aux cheveux courts, taille mannequin grande et fine avec une belle poitrine que j’ai appris à mettre en valeur. Nous sommes rentrées dans l’école en discutant de « beau gosse » et de sa stupidité.

Monsieur le Directeur commence à appeler les élèves des secondes. Seconde 4 beau gosse est appelé. Wahouu il a un sacré balancier ! Je n’étais pas attirée par les blonds en général, mais il fallait avouer qu’il n’était pas moche du tout. Et on pouvait se noyer dans ses yeux bleus couleur océan. Ainsi, il s’appelait Luc. Ça faisait bad boy. Oublie-le, ce mec va te mener à ta perte ! râla ma conscience.

Puis vient le tour de Véro. On s’est regardées, choquées. Puis elle s’en est allée.

C’était une blague ? Nous n’étions pas dans la même classe ? Nous avons toujours été ensemble avant. Quel imbécile a fait les classes ? La classe est partie. Dommage, j’aurais vraiment aimé avoir Madame Tintot, prof d’anglais, comme professeur principale. Elle ou ce cher Luc ? N’importe quoi… Je me fichais de ce mec.

On a appelé la seconde 5 et je n’ai pas compris. On m’a carrément zappée. J’ai couru voir la CPE qui était à côté de Monsieur Dormo, le Directeur et lui ai expliqué mon problème.

— Tu arrives en retard, Brodard ! m’a-t-elle grondée.

— Non, Madame. Je suis là depuis que Monsieur le Directeur a commencé à appeler les élèves, et il ne m’a pas mentionnée.

Ils ont froncé leurs sourcils et m’ont observée incrédules.

— Vraiment ? râla-t-elle.

— Oui, Madame, je vous assure ! ai-je insisté.

Il a fallu que j’attende dix minutes avant qu’elle ne revienne, penaude.

— En effet. Je ne comprends pas. Ton nom n’était nulle part sur les listes. Tu vas donc monter en seconde 3. Ils sont vingt-neuf.

Hors de question !

— Madame, me suis-je permise, depuis nos trois ans Véro et moi sommes dans la même classe. Vous ne pouvez pas nous séparer maintenant.

Mes yeux larmoyants eurent raison d’elle.

— Ah, je n’y avais pas pensé. Tu as raison. Va les rejoindre en B204. Tiens, je t’ai fait un mot pour Madame Tintot, ton professeur principal.

Ouff erreur réparée. Deux minutes plus tard, honteuse mais ravie, je frappais à la porte un sourire niais aux lèvres. J’étais dans la classe de beau gosse Luc et de Véro. Je me suis excusée, ai donné le mot à Madame Tintot qui m’a accueillie chaleureusement. J’étais douée en anglais. Je l’ai eue en cinquième. Elle se souvenait forcément de moi. J’étais sa meilleure élève. Bref, elle m’a souri et invitée à aller m’asseoir.  Et devinez quoi ? La seule place disponible était à côté de Luc. Véro m’a fait un clin d’œil que j’ai feint de ne rien voir.

Je me suis assise. Il sentait trop bon. Il s’est présenté discrètement et j’ai fait de même. Puis, il s’est tu. Je n’ai pas poursuivi la conversation.

Il avait une voix divine. Après une heure à nous énoncer les objectifs et les enjeux de la classe de seconde, nous avons démarré le cours d’anglais. On doit parler de nous et raconter nos vacances. Je me suis éclatée pendant au moins deux minutes alors que beaucoup d’autres ont peiné à atteindre la minute. Mon voisin m’a lancé une grimace du genre bravo, tu as cartonné et il a attaqué. À sa première phrase, j’ai compris. L’enfoiré ! J’ai ri jaune. Il était doué. Il était bilingue. Il a bien caché son jeu. Et voilà qu’il nous a parlé de lui. Sa mère était américaine, son père français. Blabla... Puis il nous a raconté son été aux USA, à Boston précisément et blablabla.

Le prétentieux ! Je le détestais déjà. Facile d’être doué quand on est natif. Il a monopolisé la parole pendant au moins quatre minutes et la prof s’est mise à lui poser des questions. Je n’avais rien à dire, mais j’ai vite compris que seuls lui, la prof et moi comprenions la conversation. Il m’a fait un énorme sourire après sa prestation, du genre, je t’ai bien eue !

Ce mec était canon et en plus il était intelligent. C’était juste dégeulasse pour les gens normaux comme moi. Jusqu’à maintenant, je ne me battais qu’avec moi-même pour être première de ma classe, mais à ce moment-là j’ai bien compris qu’il faudrait composer avec monsieur PARFAIT.

Pendant tout le trimestre je me suis surpassée et le jour du conseil fut le moment de vérité. Bien évidemment, j’étais déléguée et vous devinez que Luc a, lui aussi, été élu. J’avais l’impression qu’il faisait tout pour que je le déteste encore. Nous nous sommes assis et tous deux avons cherché nos noms. Ma moyenne était excellente. Je n’avais encore jamais atteint les 18 de moyenne auparavant. Je n’en avais jamais eu besoin. 18,47 fais mieux, va ! J’ai cherché son nom et là je suis sous le choc ! 18,48. Dites-moi que je rêve et que je vais me réveiller ? Moi la fille qui a toujours été sûre d’elle et première de sa classe, j’étais seconde.

J’ai demandé à sortir pour aller aux toilettes. J’ai tenu jusque dans le sas et là mes larmes ont commencé à couler.  J’étais tellement dégoutée !

Une main m’a touchée dans le dos. J’ai sursauté et me suis retournée. Beau gosse se tenait devant moi. Je me sentais nulle. Lui qui souriait a rapidement changé d’attitude face à mon état.

— Je suis désolé. Je voyais ça comme un jeu, je ne pensais pas que ça te tenait autant à cœur !

— Un jeu ! Tu te moques de moi ?

— Je voulais te donner une bonne leçon, mais je ne me doutais pas que...

— Quoi ?

Je ne comprenais rien à ce qu’il m’expliquait.

— Disons que ce n’est pas sympa de se moquer des gens que l’on ne connaît pas !

— Mais de quoi diable parles-tu ?

— De toi et de ta copine Véro, le jour de la rentrée.

Je me souvenais que nous nous sommes moquées de lui. Purée, je ne pensais pas qu’il avait tout entendu. La honte !

— Tu nous as entendues ?

— Vous n’étiez pas très discrètes.

J’étais  gênée.

— Je le reconnais. C’est de bonne guerre ! Mais avoue que c’est quand même injuste ! Tu as tout pour toi. Tu es beau et intelligent...

— Ah ! Alors comme ça tu me trouves beau ?

— Et prétentieux, ai-je rajouté.

— Ça contrebalance avec mon intelligence. Je suis quand même premier de la classe.

Toc, prends ça dans tes dents !

Il a séché mes larmes et m’a fait un énorme sourire.

Il m’a embrassée sur la bouche et j’ai senti comme une décharge électrique. Je ne m’y attendais pas à celle-là.

— Luc, Séverine, où êtes-vous ?

On sursaute. Zut Madame Tintot. On les avait oubliés. Ce baiser était à la fois doux et sensuel. J’avais déjà embrassé deux garçons, mais je n’avais jamais ressenti une telle émotion. Un baiser magique. En quelques secondes Luc m’avait tout fait oublier. Les profs, mes parents, Véro, mon nom ou même mon prénom, je ne me souvenais plus de rien avant qu’elle ne nous ramène à la réalité… Il m’a pris la main et nous sommes retournés dans la salle de conférences pour assister au conseil.

Depuis ce jour-là, nous ne nous sommes plus quittés. Il a été formidable, car il m’a laissé la première place qui me tenait tant à cœur. Je dis bien laisser, car je voyais qu’il mettait moins de cœur à l’ouvrage qu’il ne l’aurait dû. N’était-ce pas adorable ? Un homme qui se sacrifie pour sa chérie et qui se retrouve second par amour ?

Nous nous connaissons depuis nos quinze ans. Nous avons maintenant vingt-six ans et nous sommes informaticiens. Cela fait donc onze ans maintenant que nous sommes ensemble et quatre ans que nous sommes mariés. Sur toutes ces années comme tout le monde, nous avons vécu des hauts et des bas, mais l’amour que l’on éprouve l’un pour l’autre a, jusqu’à maintenant, toujours été plus fort. Mais réussira-t-il à survivre à cette nouvelle épreuve ? Nous sommes effrayés. Et s’il me quittait au moment où j’aurais le plus besoin de lui ?

On ne se rend compte de l’amour que l’autre nous porte que face aux épreuves que la vie nous fait endurer. Notre rencontre, notre couple, notre mariage, nous risquons de tout perdre à cause de ce diagnostic. Qu’avons-nous fait pour mériter ça ?

Je suis triste de cet état. Ce n’est pas juste. Pourquoi cela nous tombe-t-il dessus ? Nous ne sommes pas prêts à affronter cette épreuve. La vie n’est pas juste. Elle est terriblement injuste même... Une larme coule le long de mes joues. Tous les deux, nous avons beaucoup voyagé. Nous avons une vie sociale merveilleuse. Beaucoup d’amis. Nous faisons beaucoup de sorties entre couples. Avec ce qui nous tombe dessus, je doute que nos amis comprennent. Ils auront pitié de moi et je ne pourrais pas supporter leurs regards. Tous les rendez-vous médicaux, les effets secondaires, je doute que notre amitié ne dure. Je ne sais même pas si mon couple y survivra...

— Alors mon amour, qu’allons-nous faire ?

— Il va falloir que l’on soit fort, réponds-je.

— Je t’aime tant Sev. Je n’ai pas envie de te perdre.

— Moi non plus Luc. Je suis certaine que tu ne m’aimeras plus dès que les premiers symptômes apparaitront.

Je me rapproche et pose ma tête sur son épaule. Il m’embrasse le cou.

— Non, c’est impossible. Je ne peux pas l’imaginer.

— Je risque de perdre mes cheveux ou d’avoir des nausées, des vomissements. Il paraît aussi que l’on peut perdre une partie de notre mémoire. Je risque d’oublier beaucoup de choses…

Il soupire. J’en ai des frissons. Je ne lui parle même pas de mon corps qui sera probablement dans un sale état après avoir subi ça ! Serais-je alitée et/ou hospitalisée ? Je secoue la tête. Tous ces changements en si peu de temps. Ce genre de pathologie ne fait pas de cadeaux à ceux qui en sont victimes. Je suis déjà si faible ! Comment survivre à ça ?

Nous pleurons en faisant le deuil de notre vie à deux.

Luc me regarde et baisse les yeux sur mon corps qui cache ce minuscule alien qui ne va cesser de grossir et de me prendre tout ce que j’ai. Cette sangsue va probablement me pomper jusqu'au sang et même puiser dans mes anticorps et ce jusqu’à la fin… Eh oui, si vous ne l’aviez pas encore compris dans sept mois, nous allons devenir parents pour la première fois ! Je dois vous avouer que nous n’étions pas prêts à vivre cela. Jusqu’à maintenant nous ne nous étions jamais posé la question d’avoir un enfant en fait. La vie à deux nous convenait très bien. Mais le destin en a décidé autrement. Nous serons le premier couple de notre cercle d’amis à tenter cette grande aventure. Il est hors de question que je me fasse avorter. Nous ne sommes pas pour.

Sinon, remercions Florence Forresti  à qui je dois ma conception de la grossesse à cause de son sketch…  

Quelques semaines sont maintenant passées. Nous avons eu le temps de digérer la nouvelle. Mon ventre est de plus en plus rond et notre petit Maxence se porte à merveille. En fait, en y réfléchissant, même s’il s’est installé sous pilule, je suis à la fois excitée et anxieuse de ce que l’avenir nous réserve. La seule chose dont je suis sûre, c’est que même si nous perdons toute vie sociale, ou que je deviens aussi grosse qu’une vache, ou chauve, ou que je suis alitée et que pendant quelques années nous limiterons nos déplacements, nous aimons déjà ce petit être plus que tout au monde. J’ai la conviction que nous serons des parents comblés.  Finalement, Luc et moi, nous nous battrons pour devenir les trois mousquetaires de Dumas plutôt que les divorcés de Delpech…

Fin

Mot de l’auteure :

« Le but de cette nouvelle est de « dédramatiser » les maladies graves, (eh oui tous les symptômes dont je parle ne sont pas forcément signes de cancer et heureusement) des maladies auxquelles toutes les familles sont malheureusement confrontées et au contraire de dramatiser en scénario-catastrophe un des plus beaux événements de la vie d’une femme, d’un couple. Tout a été écrit de manière délibérée. Donc, profitons de ceux que nous aimons et de ce que la vie nous offre. »

 

Pourquoi nous pdc

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